« Ta cellule est dans ton cerveau »
- Maniaque, 1789 Les Amants de la Bastille
« Tu as su pour ce jeune homme de 19 ans qui s’est jeté sous un train Lundi ?
Oui… Pourquoi ?
Il avait une photo de toi petite dans sa veste…
Comment ça ?
Tu te souviens de ton ami Pierre, quand tu étais encore à l’école de Denneville ? »Si je m’en souviens.
Je me souviens de tout, ou ou de presque. Je me souviens de tout ce qu’une enfant de 7 ans à la mémoire surprenante peut se souvenir. Je me souviens de ses délicieux yeux marrons, comme du chocolat, qui pétillaient toujours comme du Coca. Je me souviens de ses lèvres minces qui s’étiraient sans cesse en sourire, ou en grimace pour me faire rire. Je me souviens de ces cheveux longs et roux, flamboyants et au parfum de fraise. Je me souviens de son équilibre précaire sur le monocycle et de son talent certain pour faire le clown. Je me souviens aussi de cette seule fois, où je lui avais demandé son nom de famille, dans le bus en allant à la piscine avec l’école, cette fois où il m’avait bondi dessus, plaqué sa main sur ma bouche critique de son nom que je trouvais comique. Je me souviens aussi du jour où je lui ai dit que je changeais d’école en cours d’année, je me souviens que dans son regard il n’y avait plus de bulles de soda, juste des gouttes de pluie courageusement retenues.
Je me souviens papa.
Je l’imagine maintenant. Les bouts de chairs ramassés sur les rails rassemblés dans une boîte en bois, aux draps blancs, entouré de fleurs et des gens en pleurs autour de lui.
Comme il devait être beau à présent.
Quel motif l’a poussé à faire ce geste désespéré ? Pourquoi ? Mourir, quelle formidable aventure à tenter mais n’y en a-t-il pas d’autres avant ? Des aventures formidables. La mort est la dernière aventure dans laquelle on se lance. Pourquoi avoir choisi de renoncer aux autres ?
« Il était devenu dépressif solitaire et triste. Le divorce de son père… Il ne l’a pas supporté »Papa… Moi non plus je ne supporte pas ta séparation avec. Moi non plus je ne supporte pas de me lever tous les matins en sachant qu’un de mes parents n’est pas là, à la maison, avec nous, mais qu’il est loin, loin de nous, seul. Moi non plus je ne supporte pas d’avoir eu à laisser derrière moi, ma chambre, celle où j’ai grandi, où j’ai appris à lire, où je faisais des concerts au Stade de France comme Céline Dion devant mon miroir, où je me déguisais et incarnait une petite fille parcourant le monde. Mais papa, quel égoïsme ! Il avait un frère, un petit frère qui doit être aussi désespéré que lui papa. On le cache tous mais on souffre tous autant. Moi papa, je pense à ma petite soeur, je pense à toi et maman, si je disparaissais demain, que feriez-vous tous ?
Alors non papa. On souffre, en silence, on souffre mais on avance papa. On n’abandonne pas. Alors dis-moi papa, pourquoi Pierre a abandonné ? Pourquoi a-t-il tout laissé tomber ? Pourquoi a-t-il été si égoïste ? Non papa, ce n’est pas le souvenir du jeune garçon que j’en ai.
Se jeter sous les roues d’un train.
Mais papa, pourquoi cette photo ? Cette photo du carnaval de l’école, je ne l’ai jamais vue. Qui l’a prise ? Je ne me souviens pas. Papa, en dix ans, je n’ai jamais oublié Pierre et je n’ai jamais perdu l’espoir de le retrouver un jour. Mais papa ! Lui non plus ne m’avait pas oubliée, il me gardait avec lui, presque comme un secret contre sa poitrine. Oh papa, m’aimait-il un peu alors ? Aurais-je dû chercher à le retrouver ? Aurais-je pu l’empêcher de sauter ? Et ce train, n’aurait-il pas pu avoir un problème technique au départ de la gare ? Tu sais, comme moi, que les trains sont rares sur cette ligne. Alors pourquoi, mais papa pourquoi ?
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Pierre n'est évidement pas le nom de ce garçon.
Oui j'ai connu ce garçon, je voulais simplement lui rendre hommage.